Meererausch II (2020) – Stéphanie Uhres
“Parfois, pour moi méditerranéen d’origine, il me semblait percevoir la source de cette nostalgie en l’absence de la mer: la mer comme liberté, jeunesse, possibilité d’aventure. […]” (L’art de la joie – Goliarda Sapienza)
Dans ce titre choisi par l’artiste, on se retrouve vis-à-vis avec un de ces mots allemands si empreints de pathétique, qui causent souvent des difficultés de traduction.
L’enivrement de la mer, c’est peut-être comme cela que nous pourrions le traduire.
Parce que, en principe c’est vrai : quiconque a vu la mer au moins une fois dans sa vie, quiconque a entendu son bruit et son odeur, sait de quoi on parle.
À travers ce travail de Stéphanie Uhres nous sommes confrontés à notre souvenir de la mer, à l’évocation inévitable de tout ce qui la caractérise, en passant par tous les sens de notre corps.
En regardant la toile, nous voyageons dans l’espace et le temps.
Et la maîtrise de l’artiste réside précisément dans la non-définition délibérée de l’espace qui accueille les protagonistes de ses œuvres.
Un fond aérien, apparemment vide, qui, sans affecter l’histoire, permet à l’imagination de galoper librement là où le subconscient décide de nous conduire pendant la phase de contemplation.
Même en ignorant le titre de l’œuvre, il serait inévitable de ne pas reconnaître la mer que la petite protagoniste regarde, évoque, rêve.
Une mer calme et plate, une mer orageuse et menaçante. La fluidité de l’étalement de la couleur du fond nous laisse toute liberté d’interprétation: dans la présence pâle mais toujours importante du gris, étalé comme une ligne brisé et dilaté en certains points, nous distinguons la ligne d’horizon de la mer. Dans les crêtes supérieures de la zone bleue, nous reconnaissons une mer ondulée par le vent ou frangée contre un obstacle. Dans les crêtes inférieures, moins prononcées, nous imaginons l’eau se dilater doucement sur le rivage. Des crêtes qui s’écoulent, révélant le secret de la couleur fluide utilisée par l’artiste dans une grande maîtrise technique. Tout est expressément raisonné pour renforcer la sensation du mouvement ininterrompu de l’eau ; une sensation d’expansion spatiale, qui nous laisse des espaces où peut-être nous pourrions déposer nos émotions. L’eau comme métaphore de quelque chose de fluide, qui prend la forme que nous désirons lui donner, mais aussi comme élément indomptable et au caractère inarrêtable.
L’élément de fixité, qui interrompt le fond, ainsi que notre regard qui parcourt la toile d’un côté à l’autre, c’est cette fille. Elle incarne la perfection, quelque chose qui ne laisse aucune place à l’imagination, si ce n’est le visage qui nous est refusé par sa position tournée vers la mer. Ici nous retrouvons la dextérité de l’artiste, exprimée à travers une application technique complètement différente. Chaque millimètre est exécuté avec une précision parfaite: les plis et les détails des vêtements, les cheveux, le teint, chaque ride et creux qui se dessine sur le corps lors de la torsion, ainsi que les ombres. Et finalement, en regardant la petite fille jusqu’au bout de son menton, nous sommes ramenés à la mer.
Une mer comme liberté, comme jeunesse, comme possibilité d’aventure. Thèmes-clés et récurrents dans les œuvres actuelles de Stéphanie Uhres, que nous vous invitons à découvrir en galerie jusqu’au samedi 17 octobre.